Les enfants arrivent en courant vers nous à Napité… Ils sont 20 puis 30 puis 60…et ce sont 77 enfants qui suivent nos ateliers. Le rire de ces enfants, leur goût à expérimenter, leur ravissement et le nôtre : un moment de bonheur. Les petites filles se cachent la bouche pour rire…Pudeur symbolique : on ne montre pas ce que sera notre cadavre et les dents sont cette part de squelette visible dans notre corps vivant.
De petites choses apprises lors de rencontres avec les artistes : Andrés Campos Cruz, acteur, Marco Fonz, écrivain, sa femme Tania, écrivaine, Mirtha Luz Perez Robledo, écrivaine…. Marcos Fonz a une grand-mère indigène, il me parle du Nahual qui viendra me trouver dans mes rêves quand je serai prête à le voir. « Tu fais partie de lui et non lui de toi ». A Napité, on nous raconte de ce feu, le « k’ak’choj », que l’on a vu avancer seul, comme un tigre, et partir sans rien brûler, venu protéger le village .
Et puis il y a Francisco Gordillo, vidéaste, poète, directeur de la Casa de Cultura de Comitan. Il est le seul directeur d’une Maison de la Culture du Chiapas à nous proposer une collaboration, il s’intéresse aux cultures indigènes, voudrait réaliser un reportage sur eux. Francisco Gordillo a été assassiné à Comitan, petite ville tranquille du sud du Chiapas, le 15 juin dernier.
La peur est sensible à San Cristobal de las Casas. Une ville sous haute tension. Beaucoup d’étrangers, des touristes, des observateurs des Droits de l’Homme et des sympathisants de la cause zapatiste. Il y a ceux qui viennent pour mieux connaître et soutenir les indigènes zapatistes et puis ceux qui, fascinés par l’icône du sous-commandant Marcos, viennent faire le « Zapa-tour ». Ils sont déçus. Ici c’est surtout le quotidien d’ne résistance longue de 500 ans que l’on perçoit. Les graffitis sur les murs représentant Zapata ou le Che ou bien un Zapata-Che tout en un. Marcos se fait discret, même les poupées vendues par les enfants des rues représentent le commandante David ou le commandante Ramona… Qui est Ramona ? me demande Isabel Juarez, indigène et écrivaine, actrice, fondatrice avec Petrona de la Cruz Cruz du groupe de femmes FOMMA, aux vies marquées par des évènements tragiques. Renvoyée de chez elle parce que violée elle faisait honte à sa famille ou bien partie parce que son mari la violentait, enfuie à 12 ans pour ne pas devoir répondre à un mariage arrangé, chacune d’elles arrive en ville démunie.
Ensemble elles se battent mieux contre le machisme séculaire enraciné dans les coutumes des communautés indigènes et qu’elles retrouvent dans la société métisse, une société qui leur renvoie une image qu’elles récusent : « c’est eux qui font la différence, nous sommes issues d’une autre culture, ais nous sommes des mamans comme font les autres, nous rions comme les autres, nous ne sommes pas différentes. » Elles reconnaissent que le soulèvement de 1994 a beaucoup fait avancer les choses, mais restent sceptiques. Elles ont peur de nouveaux affrontements.
Tout le monde craint cet immobilisme explosif. La situation s’est envenimée depuis le vote au Congrès d’une loi qui ne respecte pas les accords de San Andrès. Peut-être était-ce une provocation trop insupportable que le Congrès se voit obligé d’écouter un indigène zapatiste et que, de plus, ce fut une femme ?
Les femmes étaient plus efficaces que les hommes au combat et plus courageuses, nous dit-on. Leur présence dans les combats a certainement participer à changer la perception de la femme : elle a acquis des droits, elle vote et prend part aux décisions. Pourtant, même en zone zapatiste, se sont plus facilement les hommes qui s’expriment…. Les femmes n’osent pas, ou alors ce sont des métisses. Drôle de situation car ce qui nous intéressent c’était leur opinion à elles. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un Ejercito Zapatiste de Liberacion, donc avec la rigueur et l’organisation que les armes exigent.
Carlos Martinez Suarez, vidéaste, nous dit que dans leurs déclarations, les femmes zapatistes disent vouloir faire d’abord la libération des classes : celle des femmes en découlera. Je pense à toutes les révolutions, à commencer par la française, et je vois l’égalité des femmes dans le nombre de têtes tombées, pas dans le nombre de postes au pouvoir… Mais il est tard et la liqueur de « durazno » m’a un peu endormie. Je ne lui réponds pas. Tout le monde a une opinion sur le zapatisme et, en privé, nombreux sont les sympathisants de leur cause, mais à haute voix personne ne s’exprime et leurs témoignages restent anonymes. C’est la peur qui régit la parole, sauf quand on n’a plus grand chose à perdre.
Les dernières familles de ceux que l’on a appelées les « déplacés » d’Acteal, survivants d’un massacre abominable contre des femmes et des enfants, vivent dans un camp dans ces conditions misérables. Ils peuvent à présent rentrer chez eux ou bien aller en zone zapatiste. Un homme nous dit leur peur de revenir là où ils ont tout perdu, là où les voisins leur ont tout pris. Car ce massacre orchestré par le PRI (ancien parti au pouvoir) s’était assuré des mercenaires locaux, leurs frères en somme… Pas tout à fait. Les peuples du Chiapas ont toujours été déplacés, il s’agit d’ethnies différentes depuis toujours utilisées les unes contre les autres au gré des jeux du pouvoir central. Le zapatisme tente de les unir autour d’une même volonté : affirmer l’identité des peuples indigènes par l’autonomie décisionnelle. Mais en région zapatiste il y a des règles à respecter : ne pas boire d’alcool, ne plus frapper sa femme, prendre les armes si besoin… Les derniers réfugiés d’Acteal ne veulent pas partir en zone zapatiste.
Et puis il y a Francisco Gordillo, vidéaste, poète, directeur de la Casa de Cultura de Comitan. Il est le seul directeur d’une Maison de la Culture du Chiapas à nous proposer une collaboration, il s’intéresse aux cultures indigènes, voudrait réaliser un reportage sur eux. Francisco Gordillo a été assassiné à Comitan, petite ville tranquille du sud du Chiapas, le 15 juin dernier.
La peur est sensible à San Cristobal de las Casas. Une ville sous haute tension. Beaucoup d’étrangers, des touristes, des observateurs des Droits de l’Homme et des sympathisants de la cause zapatiste. Il y a ceux qui viennent pour mieux connaître et soutenir les indigènes zapatistes et puis ceux qui, fascinés par l’icône du sous-commandant Marcos, viennent faire le « Zapa-tour ». Ils sont déçus. Ici c’est surtout le quotidien d’ne résistance longue de 500 ans que l’on perçoit. Les graffitis sur les murs représentant Zapata ou le Che ou bien un Zapata-Che tout en un. Marcos se fait discret, même les poupées vendues par les enfants des rues représentent le commandante David ou le commandante Ramona… Qui est Ramona ? me demande Isabel Juarez, indigène et écrivaine, actrice, fondatrice avec Petrona de la Cruz Cruz du groupe de femmes FOMMA, aux vies marquées par des évènements tragiques. Renvoyée de chez elle parce que violée elle faisait honte à sa famille ou bien partie parce que son mari la violentait, enfuie à 12 ans pour ne pas devoir répondre à un mariage arrangé, chacune d’elles arrive en ville démunie.
Il y aurait beaucoup plus à raconter… les couleurs, le bruit, le tapage du Chiapas, que l’on retrouve dans les danses folkloriques avec leur zapateados et dont le « maestro » David nous apprend quelques gestes, quelques rythmes. Moi aussi on m’appelle « Maestra », je m’y fais.
De retour en France, le Chiapas nous manque…tant de gens merveilleux. Des femmes surtout. Rosy, talentueuse et infatigable, Lupita, généreuse et optimiste, Maria Roselia, surtout, et la force de son combat incessant pour son peuple, pour les femmes, pour tous, pour qu’un jour le Chiapas soit cet endroit dont tous rêvent et que les zapatistes ont si joliment exprimée « un mundo en el que quepan todos los mundos », un monde dans lequel trouvent leur place tous les mondes.
Marilén Iglesias-Breuker