Portrait

 Marilén Iglesias-Breuker par Bernard Weber

Je l’ai rencontrée, il y a vingt ans. D’un pas ferme et résolu, elle posait les pieds sur le sol de Champagne Ardenne. Elle arborait avec élégance un chapeau picaresque dont les larges bords dissimulaient mal des regards pleins d’impertinences et brasillant de révoltes, riait en cascades cristallines et parlait- argentine polyglotte- merveilleusement un français aux saveurs ultramarines. Elle était venue en résidence à la Maison de la Culture de Reims pour danser, et aussi, pour faire chatoyer les vingt faces de son Icosaèdre labanien : c’était le nom, disait-elle de la compagnie qu’elle venait de fonder avec Luc Petton, « le danseur plus rapide que son ombre ». Les missions et les tournées succédant à la résidence, elle prolongea si longtemps son séjour, en créant, en animant, en fédérant, qu’à la fin elle s’installa. De résidente, elle était devenue sans pose ni pathos, résistante. Elle se prépare aujourd’hui à souffler les bougies d’un joyeux anniversaire.
Vingt ans après, comme pour les mousquetaires d’Alexandre Dumas, tout a changé sauf l’essentiel : la beauté, l’allure, l’humour en toutes circonstances et le goût du paradoxe, mais aussi et surtout la pratique (à la manière des sages) constante et opiniâtre d’une pensée-corps et d’un corps-penser dont l’objet serait le mouvement, la hantise : le transcendant, la vérité : l’immanence au monde et le ressort secret : la joie.

Marilén jubile jusque dans ses oeuvres les plus graves, c'est la condition même de la danse, puisqu'il y va de sa pensée. Elle fait partie de ceux-là, artistes, philosophes ou savants, qui selon Henry Miller s'affaires à polir des lentilles dans l'espoir d'un improbable évènement : "Un jour la lentille sera parfaite ; et ce jour-là nous percevrons tous clairement la stupéfiante, l'extraordinaire beauté de ce monde."